Une politique contre le terrorisme
Tribune du Journal Libération du 22 juillet 2016
Par Cyril Dion, co-réalisateur avec Mélanie Laurent du film Demain; cofondateur du mouvement Colibris Auteur et directeur de la collection Domaine du Possible aux Editions Actes Sud — 22 juillet 2016 à 17:53
De part et d’autre de la Méditerranée, une vague d’attentats s’abat sur nombre de villes. Après celui de Nice le 14 juillet dernier, l’état d’urgence a été prolongé de trois mois. Sans doute cette mesure était nécessaire. Mais, au-delà d’une politique de sécurité, ne devrions-nous pas réfléchir à une politique plus large comprenant la culture, l’éducation à la paix, l’inclusion sociale, la diplomatie ?
- Une politique contre le terrorisme
Confrontés à des actes d’une barbarie aussi ahurissante qu’écraser des adultes et des enfants avec un camion sur une distance de deux kilomètres, que de se démembrer à l’explosif au beau milieu d’une foule, la première question à se poser ne devrait-elle pas être : comment des êtres humains peuvent en arriver là ?
Peut-être est-il temps de prendre le mal à la racine. Et dire cela n’est pas faire de l’angélisme béat. Bien entendu il est indispensable de protéger nos concitoyens. Evidemment, il est nécessaire de se défendre lorsque des fous sanguinaires nous attaquent. Mais nous savons ce que produit la spirale de la violence : une escalade du pire. La riposte guerrière au 11 Septembre en est une triste illustration, elle a participé à créer Daech.
Alors que faire, concrètement ? Car il ne suffit pas de brandir quelques bons sentiments. Voici quelques pistes qui, sans être exhaustives, me paraissent essentielles à envisager.
Comme l’avançait Matteo Renzi après les attentats de janvier 2015, aligner les dépenses de culture avec les dépenses de sécurité. Et faire de même pour l’éducation et l’inclusion sociale. Jamais nous n’avons eu à ce point besoin de comprendre le monde, de nous comprendre les uns les autres, d’élargir et d’approfondir nos perspectives. Car notre incapacité à embrasser les faits dans leur complexité, notre propension à nous laisser envahir par des réactions émotionnelles nous rendant perméables à des discours simplificateurs, parfois xénophobes, véhiculés par nombre de médias ou de responsables politiques est un problème. Laisser croupir des pans entiers de la population dans des ghettos, dans une misère économique, culturelle et sociale, qui nourrit leur frustration et leur envie de revanche, les rendre ainsi vulnérables à des discours haineux, fanatiques, leur laissant croire qu’ils existeront, qu’ils trouveront du sens à leur vie en se revendiquant d’un étendard guerrier, sain, en tuant, est un immense problème. Imaginer que nous pouvons renvoyer des millions de gens chez eux et nous barricader derrière des murs en est un troisième. Penser que nous pouvons, ad vitam eternam, déstabiliser des régions entières pour contrôler des zones énergétiques stratégiques sans que cela ne nous retombe sur le coin du nez relève d’une grave inconscience.
Plus de culture donc : plus de livres, de films, de médias, capables de décrypter ces enjeux, leur apporter des points de vue. Plus d’expositions, de tableaux, de spectacles, de photos, de musique, d’œuvres susceptibles d’ouvrir nos esprits, de les confronter à des réalités différentes, de nourrir notre empathie. Plus de médiathèques, de théâtres, de cinéma d’art et d’essai. Plus d’artistes. Partout. Et plus encore dans les zones dites sensibles.
Plus d’éducation aussi. Plus d’enseignants par classes, moins d’élèves, plus de temps pour s’adapter à la différence, pour approfondir des concepts, échanger… Plus de liberté pédagogique, plus d’options ouvertes pour permettre à chacun, intellectuel ou manuel, de trouver sa voie, de construire un parcours qui a du sens, qui l’épanouit. Plus d’éducation à la paix. Comme l’écrivent Thomas d’Ansembourg et David Van Reybrouck dans un ouvrage à venir, la paix s’apprend. Nous passons des années à apprendre les maths, la physique, la grammaire, mais pas une heure à apprendre à dialoguer, à résoudre des conflits, à gérer nos réactions émotionnelles… Pourtant les outils ne manquent pas : Communication non-violente, méditation et pratique de la pleine conscience, PNL, etc. Il est indispensable que nous intégrions ces pratiques dans nos cursus de base. Elles ont largement fait leur preuve.
Et par conséquent plus d’équité. Qui peut encore imaginer que les disparités indécentes entre les centres-villes bourgeois et les cités, entre les pays occidentaux et les zones oubliées d’Afrique ou d’Asie, entre des classes moyennes et populaires qui s’appauvrissent toujours plus et quelques privilégiés qui s’enrichissent au-delà de toute mesure, ne font pas le lit du terrorisme ou du racisme ? Personne n’aime se sentir opprimé, impuissant, déclassé. Plafonner les loyers dans les centres-villes pour assurer une véritable mixité, détruire les quartiers/ghettos pour y reconstruire de véritables lieux de vie où différentes cultures, classes sociales pourront se mélanger. Taxer les transactions financières pour mieux répartir les richesses. Alléger la fiscalité sur le travail pour libérer l’entreprenariat. Donner à chacun la chance de devenir une personne créative, épanouie, qui se sent utile…
Taxer le pétrole et les énergies fossiles pour accélérer la transition énergétique. Nous ne pouvons plus continuer à jouer à ce jeu. Nous savons que les Etats-Unis, l’Arabie Saoudite et le Qatar ont participé à la création de Daech pour empêcher la Syrie et l’Iran de devenir des concurrents trop sérieux dans la vente du pétrole. Nous savons que la guerre en Irak (largement motivée par le contrôle des réserves pétrolières) a également contribué à donner forme au monstre que nous pointons du doigt aujourd’hui. Permettre à notre pays de réduire sa dépendance et, à terme, de produire lui-même sa propre énergie à partir de sources locales et renouvelables, est un élément de réponse incontournable. Et je ne parle même pas du danger climatique.
Construire une véritable solidarité et une coopération avec les zones de conflits qui alimentent le terrorisme : Irak, Syrie, Yémen, etc. Certes la situation y est complexe. Mais que peuvent penser les populations lorsqu’elles assistent au pilonnage d’avions occidentaux ? Que peuvent vouloir des Irakiens dont la famille a été tuée par des GI hormis se venger ?
Je ne dis pas que tout ceci est facile. Ces mesures demanderaient du temps, du courage et ne feraient pas immédiatement de miracles. Mais si nous ne les engageons pas, nous prenons le risque de laisser le cycle infernal de la violence se déchaîner. Et je ne crois pas que ce soit ce que nous voulons.